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La Société Organique ?

Une vieille idée !

Par Fabienne GOUX-BAUDIMENT

Présidente de la SFdP

La notion de société organique n’est pas nouvelle. Elle apparait à la fin du XVIIIème siècle, sous l’influence conjuguée du Romantisme naissant et des déceptions engendrées par la Révolution Française[1]. La société commence alors à être considérée comme un corps organique en évolution, en rupture avec la conception fixiste du monde qui avait prévalu jusqu’alors. La nature organique de cette croissance lui confère deux caractéristiques : une unicité intrinsèque, constituée par un esprit (Geist) et une culture (valeurs, traditions, institutions) — en quelque sorte l’ADN de cette société— et une grande fragilité face à tout changement brutal et drastique (comme la Révolution Française).

[1] International Encyclopedia of the Social Sciences, 1968, article “society”. 

A part de là, dès le début du XIXème siècle, deux champs de connaissance distincts vont s’emparer de cette notion : la science politique, qui va trouver là matière à repenser la place des institutions et notamment le rôle de l’Etat, et la sociologie, qui s’interrogera alors que « ce qui fait société ». Bien que traitant la question de manière tout à fait différente, ils partent d’une définition commune : « Si la société est un organisme, il s’agit alors d’un ensemble complexe de formes de processus, dont chacun est vivant et grandit en interagissant avec les autres, le tout étant si unifié que ce qui se déroule en un point affecte tout le reste. C’est un vaste tissu d’activités réciproques. »[2].

 

Durkheim [3] ira plus loin encore dans cette vision en montrant que les individus ont des fonctions sociales complémentaires, qui nécessitent une coopération étroite. Chacun est indispensable au fonctionnement de la société, comme les organes le sont à un être vivant. Il fait de cette conception la caractéristique des sociétés modernes, dont les individus se sont émancipés par rapport aux sociétés traditionnelles et s’individualisent progressivement, tandis que, simultanément, la différentiation des tâches sociales et productives entraîne une segmentation de la société en groupes sociaux de plus en plus distincts (corporations, classes sociales, etc.).

 

Il est donc possible de décrire la société comme un corps humain : des organes spécialisés assurent les différentes fonctions qui lui permettent de vivre. Ainsi le cerveau, le cœur, les poumons, les reins, le foie… ont-ils des analogues sociaux : l’Etat, la religion, l’armée, les commerçants, les ouvriers, les notables… Chacun a son rôle et sa place, les uns par rapport aux autres. Les individus sont l’équivalent des cellules : toutes égales lorsqu’elles naissent (cellules-souches), elles se spécialisent au fur et à mesure de leur développement. Ainsi l’éducation, l’expérience, le savoir-faire spécialisent progressivement les individus.

[2] Coser, Lewis A. Masters of Sociological Thought: Ideas in Historical and Social Context. 2nd ed. Waveland Pr Inc, 2003, (citation page 307).

[3] Durkheim, Emile. De la division du travail social. 8e édition. Paris: Presses Universitaires de France - PUF, 2013.

Alors pourquoi réapparait-elle aujourd’hui ? 

Voici donc plus de deux siècles que ce concept est connu. Alors pourquoi réapparaît-il aujourd’hui, presque comme une nouveauté ? Deux raisons majeures peuvent sauter aux yeux :

 

  • D’une part, le sentiment que les carcans de la spécialisation, l’ossification des institutions et l’hyper-individualisme (not in my backyard) sont devenus des facteurs bloquants de l’évolution nécessaire à toute structure vivante dans son ensemble. D’où cette perception d’une « société bloquée » alors que l’expression même de sa vitalité n’a jamais été aussi multiple.

 

  • D’autre part, l’espoir qu’un autre modèle de société est possible, plus ouvert, tolérant, fluide. Où l’on peut sortir des espaces assignés, où l’on peut construire des aires de liberté, où l’on peut faire ensemble dans la joie des affinités plutôt que la morosité des contraintes. 

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